Blizzard

L’histoire méconnue du partenariat entre Blizzard et le distributeur chinois Aomei Soft

Avec l’arrêt de la distribution de la majorité des jeux vidéo de Blizzard en Chine par NetEase depuis janvier, il m’a paru intéressant de faire un bond dans le passé, afin de revenir sur le premier distributeur des titres de la firme californienne sur le marché chinois. Puisque avant que The9 puis NetEase ne se mettent à y distribuer les licences du studio américain, une autre entreprise méconnue et issue de l’Empire du Milieu y a aussi publié leurs jeux : Aomei Soft.

Présentation


Cette dernière, fondée en octobre 1996 à Wuhan par le conglomérat agroalimentaire, de commerce de détail et de télécommunications thaïlandais Charoen Pokphand (dans l’objectif d’avoir un pied dans l’industrie du jeu-vidéo), s’est fait connaître à l’échelle nationale à partir de la fin de cette décennie, et Blizzard fut leur premier collaborateur, suivi par d’autres studios et éditeurs comme Valve Corporation, Sierra Entertainment, GameHi, Larian Studios et Eidos Interactive. En effet, le premier jeu qui fut distribué en Chine par Aomei fut Warcraft II : Tides of Darkness, en juillet 1997. Son succès en Chine permis à la société asiatique d’y publier Diablo puis StarCraft. Peu de temps avant la sortie du hack ‘n’ slash, une branche d’Aomei fut basée à Pékin, en août 1997. D’autres jeux en solitaire et en ligne les rejoignirent rapidement, comme Half-Life, Counter-Strike et Pharaoh. Au total et pendant huit ans, une cinquantaine de jeux occidentaux furent distribués par Aomei Soft en république populaire de Chine. Voici d’ailleurs la liste exhaustive des jeux de Blizzard publiés dans ce pays :

  • Warcraft II : Tides of Darkness, en juillet 1997
  • Diablo, en septembre 1997
  • StarCraft, en avril 1998
  • StarCraft : Brood War, en novembre 1998
  • Diablo : Hellfire, en mai 1998
  • Warcraft II : Battle.net Edition (incluant Tides of Darkness et Beyond the Dark Portal), en 1999
  • Diablo II, en septembre 2000
  • Diablo II : Lord of Destruction, en juillet 2001
  • Warcraft III : Reign of Chaos, en juillet 2002
  • Warcraft III : The Frozen Throne, en juillet 2003

Note : Les deux premières extensions affiliées à StarCraft, Insurrection et Retribution, n’ont jamais été distribuées par Aomei en Chine.

Après avoir énuméré ces licences, une question peut se poser : pourquoi Aomei Soft n’a-t-elle pas continué de distribuer les jeux vidéo de la société américaine, dont World of Warcraft, qui est la suite de Warcraft III ? Pour comprendre la réponse, il faut dresser le contexte. Avant même que le célèbre MMORPG du studio californien ne soit annoncé en septembre 2001, Aomei avait appris l’existence de ce projet et en avait discuté plusieurs fois avec Vivendi Games (maison mère de Blizzard de la fin des années 1990 jusqu’à la création d’Activision Blizzard en juillet 2008), espérant obtenir les droits de publication du jeu. Cependant, la réponse ambiguë que leur avait donnée Vivendi laissait penser que l’exploitation du titre par la société chinoise serait impossible, en raison d’un manque d’expérience d’Aomei dans la distribution de jeux de rôles en ligne massivement multijoueur (toutefois, il ne s’agissait pas d’un refus définitif de Vivendi). En effet, avant d’envisager de choisir Aomei, Vivendi et Blizzard souhaitaient d’abord constater d’eux-mêmes les performances de l’entreprise chinoise sur ce secteur.

Aomei restait optimiste pour être désignée afin de distribuer World of Warcraft en Chine. L’entreprise avait mis en place un plan et des opérations pour tenter d’en obtenir les droits.

Malheureusement pour Aomei, la bataille et la concurrence étaient rudes, car un grand nombre de sociétés chinoises voulaient, elles aussi, distribuer World of Warcraft en Chine, dont The9. Il faut savoir qu’à l’époque, les connexions Internet (dont celles en haut-débit) étaient présentes dans de plus en plus de foyers, et les MMORPG devenaient de plus en plus populaires.

L’exploitante chinoise de Warcraft et StarCraft était tout de même bien déterminée à publier la séquelle de Warcraft III : The Frozen Throne. Pour ce faire, elle se lança rapidement dans le marché des MMORPG, que ce soit pour essayer d’avoir les droits de WoW afin d’accroître sa compétitivité ou pour poser les bases d’un avenir dans l’industrie rentable des jeux en ligne.

C’est ainsi que, constatant l’enthousiasme des joueurs chinois pour les jeux massivement multijoueur coréens et son modèle de coopération plus mature, Aomei décida d’exploiter des MMO issus de Corée du Sud en Chine. Après une investigation et des analyses, le choix de l’entreprise chinoise se porta sur Webzen, qui développe et édite le jeu MU Online, ce dernier étant très populaire en Corée à cette période. Alors qu’Aomei avait réussi à coopérer avec Webzen et prit un vol jusqu’en Corée du Sud pour signer le contrat d’exploitation, la société coréenne annonça au même moment sa coopération avec The9, et MU Online permis ainsi au futur premier distributeur chinois de WoW de poser son pied dans le marché des MMO.

Aomei, qui n’avait pas eu le temps de se poser pour souffler, chercha immédiatement à publier le jeu en ligne coréen Peacock King et en obtint les droits le 30 juillet 2002 auprès du studio Uritec en échange de 700 000 dollars. La bêta fermée débuta le 23 septembre (sachant qu’au 29ème jour, plus de 4 000 joueurs avaient téléchargé le client de la bêta) tandis que la bêta ouverte démarra à partir du 25 octobre.

Le MMORPG Peacock King

Pour accompagner sa phase de bêta publique, le jeu avait bénéficié de multiples publicités et les médias chinois spécialisés dans les jeux vidéo présentaient régulièrement du contenu promotionnel de ce titre. De plus, afin de garantir une large base de joueurs lors de la phase de bêta ouverte, Aomei n’a pas lésiné sur les moyens en distribuant un million d’exemplaires de Peacock King via des magazines et d’autres canaux dans douze provinces et régions chinoises.

Cependant, il y a une chose qu’il ne faut pas oublier : à cette époque, le marché chinois était extrêmement dépendant des MMORPG coréens, et les distributeurs chinois étaient faibles dans la coopération et devaient se soumettre afin de maintenir n’importe quel partenariat et de conserver le droit d’exploiter les jeux, même après des frictions et des pertes. Même si la plupart des développeurs coréens de jeux en ligne avaient reçu suffisamment d’argent des opérateurs chinois pour couvrir l’intégralité des coûts de développement des jeux lorsqu’ils ont signé, ces premiers ont refusé de faire le moindre ajustement pour le marché chinois.

Pendant ses deux phases de bêta (fermée et ouverte), les joueurs rencontraient énormément de soucis techniques en jeu : des erreurs de connexion, des déconnexions, des caractères illisibles et l’incapacité de saisir des caractères chinois. Durant la première phase, le personnel technique d’Aomei a dû travailler toute une nuit, ce qui provoqua un retard de deux semaines pour la sortie de la seconde phase, qui fut rendue disponible le 25 octobre. Malheureusement, les problèmes ne firent que s’accumuler : à une heure de l’ouverture de la bêta publique, Uritec donna une nouvelle version du jeu à Aomei, et les différences entre la version que possédait initialement Aomei et celle que leur donna Uritec étaient importantes.

Pour s’assurer d’une bêta publique fluide, Uritec (l’entreprise développant Peacock King) et Aomei avaient préparé cinquantes ensemble de serveurs.

Mais, ce qui devait arriver arriva. En raison d’instabilités des serveurs et d’une assistance technique inadéquate du côté coréen, Peacock King, alors qu’il n’était pas encore officiellement commercialisé en Chine, ferma ses portes le 25 mai 2003. Son arrêt fit subir des pertes s’élevant à plusieurs millions chez Aomei, et ce jeu devint le premier MMORPG, dans l’histoire des jeux vidéo en Chine, à avoir publiquement annoncé la cessation de son exploitation.

À ce moment-là, plus personne ne pensait qu’Aomei ne pouvait ne serait-ce qu’espérer négocier les droits de distribution de World of Warcraft en Chine. Soudainement, au même moment, Zhang Shubo, président-directeur général d’Aomei, a été contacté par le vice-président de Vivendi de la région Asie-Pacifique, proposant que WoW fut exploité par Aomei et The9. Cette dernière superviserait la publication du MMO, tandis qu’il serait confié à Aomei le marketing et les canaux de distribution. Pour ce faire, il fut demandé à Aomei d’établir un objectif de vente de 700 000 exemplaires pour Warcraft III : The Frozen Throne et de 300 000 exemplaires pour Half-Life 2 ainsi que d’avancer les redevances.

En mars 2004, Aomei Soft, qui venait de vendre des millions d’unités de jeux pour Vivendi Games, a été choquée d’apprendre que The9 avait finalement obtenu les droits de distribution de World of Warcraft en Chine. Cette nouvelle fut par ailleurs officiellement annoncée dans la presse chinoise le 1er avril. En effet, le succès que fut l’exploitation du MMORPG MU Online dans le pays permis à The9 d’acquérir les droits de publication de WoW. Enfin, il était sous-entendu qu’une affaire incluant des clés d’activation (que je détaille plus bas) et dans laquelle Aomei a été impliquée ait contribué au penchement de la balance en faveur de The9.

Toutefois, Aomei ne voulait pas s’avouer vaincu. En avril 2004, l’entreprise issue de l’Empire du Milieu annonça sa collaboration avec le studio sud-coréen Vansoft pour publier le MMORPG Lateinos Online. Quan Long, le directeur de la planification des jeux chez Vansoft, a promis que le personnel technique coréen serait beaucoup plus coopératif avec Aomei jusqu’à la fin de l’exploitation de la licence. En ce qui concerne les futures mises à jour et améliorations de ce titre, la partie coréenne consulterait également Aomei pour déterminer l’orientation du développement du jeu. Enfin, ce dernier ne sera pas modifié par l’opérateur.

Capture d’écran de Lateinos Online

Afin de ne pas répéter les erreurs techniques effectuées sur Peacock King et pour avoir un meilleur contrôle de cet aspect sur Lateinos Online, Zhang Shubo souhaitait à l’origine racheter la société développant ce titre à l’aide d’un investisseur chinois qui avait promis d’investir 16 millions de yuans chez Aomei. Finalement, ce dernier leur en a accordé 4 millions, ce qui était insuffisant pour une telle opération (sachant que les fonds financiers initiaux du distributeur chinois ne pouvaient eux non plus permettre une telle action), ce qui eut pour conséquence la perte de confiance d’autres investisseurs. Toutefois, cette somme d’argent avait servi à l’ouverture d’une filiale d’Aomei qui a géré une grande partie des ressources technologiques utilisées pour assurer l’exploitation de la licence et pour payer une partie des dettes du géant asiatique (ces dernières étant principalement dues à l’échec de la bêta de Peacock King).

Ce nouvel essai du titan chinois se solda par un échec : l’exploitation de Lateinos Online fut en effet un désastre pour Aomei, qui ferma à la même période sa filiale précédemment fondée et le jeu.

Le 4 juillet, la succursale de l’entreprise basée à Shanghai reçut une visite de Paul W. Sams, alors vice-président senior des opérations commerciales de Blizzard. Ce dernier discuta avec elle de la mise en place de nouveaux serveurs Battle.net en Chine. À l’époque, le géant asiatique éprouvait de nombreuses difficultés pour gérer les leurs, même si cela ne s’améliora guère par la suite (jusqu’à ce que NetEase ne devienne le nouveau partenaire du développeur américain).

Deux mille cinq a été une année charnière pour Aomei : le 12 avril, cette année-là, Chinainfo Holdings racheta 51% de leurs parts, ce qui résulta par la cessation de la majorité des activités de l’entreprise. Suite à l’achat des actions (qui, en réalité, s’étala jusqu’à la fin de l’année), Chinainfo se renomma China Cyber Port. D’ailleurs, sachez qu’en effectuant cette opération, la société de communication chinoise ne souhaitait pas payer les dettes d’Aomei, considérant qu’elles n’étaient pas comprises dans les parts rachetées.

De son côté, Zhang Shubo n’avait pas dit son dernier mot : il voulait continuer à distribuer des MMORPG en Chine. C’est aussi pour cette raison qu’il vendit la majorité des actions d’Aomei à China Cyber Port : pour obtenir un soutien financier conséquent afin de créer une nouvelle entreprise et y exploiter un autre MMORPG.

C’est ainsi qu’il fonda Shanghai e Power (notamment pour échapper aux dettes de sa précédente société) avec quelques uns de ses anciens employés et obtint les droits d’exploitation de Kal Online en avril 2005, un jeu vidéo produit par la société sud-coréenne Inixsoft. Mais, comme vous vous en doutez, les choses ne se passeront pas comme prévu : après une bêta ouverte rendue disponible dès le 23 septembre, la distribution de ce MMO pris fin le 2 décembre et sa nouvelle entreprise mis les clefs sous la porte au même moment.

Le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur Kal Online

Peu de temps avant, le 17 octobre, les sièges d’Aomei Soft situés à Shanghai, Pékin et Wuhan fermèrent.

En juillet 2005, China Cyber Port et Charoen Pokphand signèrent un accord de coentreprise pour s’approprier les droits et la distribution de jeux comme Warcraft, StarCraft, Diablo et Counter-Strike puis créèrent Shenzhou Aomei le 1er novembre. Cette dernière organisa principalement entre fin 2005 et l’été 2008 des tournois eSports autour de ces licences multijoueur et d’une de celles qu’elle exploita pendant la seconde moitié de cette décennie.

Plus tard, en 2007, alors que le marché chinois des jeux en ligne avait un besoin urgent d’un certain nombre de licences de haute qualité pouvant répondre à la réglementation nationale et être reconnus par la majorité des joueurs, Shenzhou Aomei acquit les droits de distribution du jeu de tir à la première personne Sudden Attack, grâce à un accord avec son développeur coréen GameHi. L’alpha fermée de ce titre débuta le 23 janvier, la bêta fermée démarra le 2 février et la bêta ouverte commença le 8 août avant que son exploitation ne s’arrête le 1er janvier 2010, alors que celui-ci n’avait pas été officiellement commercialisé en Chine.

L’histoire d’Aomei Soft s’acheva le 27 août 2008, lorsque l’administration de l’industrie et du commerce de Wuhan retira leur licence d’exploitation (le dernier jeu vidéo que la société a distribué fut Half-Life 2, le 22 janvier 2005). Shenzhou Aomei, quant à elle, existe toujours, mais est inactive depuis décembre 2011, lorsqu’elle a été vendue à une autre société chinoise. Dans son catalogue de jeux et en dehors de Sudden Attack, celle-ci a exploité, en autres et en 2006 : Empire Earth II, Codename: Panzers, Phase Two et Blitzkrieg 2.

Esport


Au début des années 2000, Aomei Soft s’impliqua, avec d’autres structures, dans la création d’au moins douze compétitions eSports dont le « Super National Esports Championship Tournament », la « Game of China League » ou encore l’ « International Gaming League » majoritairement centrées sur Warcraft III, StarCraft et Counter-Strike. D’autres organisations externes organisèrent également leurs propres tournois incluant des titres appartenant à Aomei, Vivendi ayant déclaré le 22 mars 2004 qu’elles n’avaient pas forcément besoin de l’autorisation de l’entreprise chinoise pour qu’ils aient lieu (bien que l’opérateur de l’Empire du Milieu ait par la suite à nouveau insisté en soulignant que leur autorisation était une préférence pour ces événements).

Le 19 février 2004, afin d’avoir une position importante dans l’eSport, Aomei, en collaboration avec Sina Games, Pékin Morning News, Pékin Evening News, Pop Soft, Computer Business Information, Computer Report et la chaîne télévisée de Lianoning dédiée aux jeux et au sport, a conjointement publié un document intitulé « Normes d’autorisation d’utilisation de logiciels légitimes », qui avait pour but d’établir un ensemble de règles applicables à tous les prochains événements eSports et donc de régulariser ce secteur naissant en Chine. Cependant, nombreux étaient les chinois à ne pas le prendre au sérieux, Aomei Soft s’étant « ridiculisée » suite à l’échec de la distribution de Peacock King et d’une affaire impliquant des clés CD.

Aomei Soft a établis des règles de régularisation de l’eSport avec Sina Games et des magazines nationaux

Ceci dit, cela n’a pas empêché le distributeur asiatique d’autoriser et de refuser la mise en place de plusieurs compétitions ainsi que d’essayer de contrôler des sponsors.

À partir de la fin de l’année 2005 et jusqu’à l’été 2008, Shenzhou Aomei participa à la création et/ou au déroulement de tournois autour des licences occidentales publiées par son prédécesseur, notamment les « World Series of Video Games ». De plus, elle fonda la compétition China Communication Game.

Polémique, procès et controverse


L’opérateur chinois a été au cœur d’une polémique, de procès et d’une controverse. Cette première concernait des clés d’activation de produits.

Durant cette dernière, qui débuta en 2000, plusieurs joueurs chinois ayant notamment acheté Diablo II, Warcraft III et Half-Life 2 et qui souhaitaient profiter de ces jeux en ligne devaient entrer (sur Battle.net ou sur Steam) une clé fournie avec le boîtier du titre. Malheureusement, celle-ci ne fonctionnait jamais et il était souvent indiqué qu’elle avait déjà été utilisée par une autre personne.

Au début, les clients d’Aomei pensaient qu’il ne s’agissait que d’une simple erreur et certains d’entre eux contactèrent rapidement l’assistance clientèle de l’entreprise pour obtenir une nouvelle clé. Heureusement, celle qu’ils reçurent en retour étaient bel et bien réelles.

L’exploitante des jeux de Blizzard mettait délibérément à disposition des joueurs ces fausses clés afin qu’elle puisse payer moins de droits de licence auprès de l’éditeur californien et pour générer plus de profit. D’ailleurs, à cette époque, comme de nombreuses personnes ne jouaient pas en ligne mais achetaient tout de même les boîtiers d’Aomei Soft, elles ne découvrirent jamais que leur « boîtier officiel » était en réalité une version pirate conçue par le géant chinois.
Note : Pour être plus précis, les clés n’étaient pas vérifiées en ligne lorsque le jeu était installé sur l’ordinateur d’un joueur. Ce faisant, une clé pouvait être utilisée par plusieurs personnes en même temps.

Au fil du temps, les doutes envahirent les clients de l’exploitant chinois. Le dénouement de cette affaire est que ce scandale fut exposé sur un forum de fans et que se fut signalé auprès de Blizzard. Cela eut pour principale conséquence une perte de confiance de Valve et de Blizzard, et il était sous-entendu que cette affaire joua un rôle décisif dans la distribution de World of Warcraft en Chine (comme je l’ai indiqué plus haut dans l’article).

Sachez que, suite à ce scandale, Aomei ne subit aucun procès de la part des joueurs (la société ne fit que s’excuser auprès d’eux), les lois visant à protéger les droits des consommateurs n’étant pas complètes au début des années 2000 en Chine. La plupart d’entre eux ne savaient pas comment se protéger face à des entreprises comme celle-ci. Il était donc courant au début du nouveau millénaire que les joueurs choisissent de faire des compromis plutôt que d’engager des poursuites.

Continuons sur un autre sujet. Au tournant du vingt-et-unième siècle, les plateformes servant à jouer en ligne aux jeux multijoueur qui le permettaient commencèrent à se multiplier et à croître. Certaines d’entre elles devinrent incontournables auprès des chinois, comme Haofang (devenue depuis Haofang Gaming Platform), VS Battle Platform et QQ Battle Platform, cette première et cette dernière ayant respectivement appartenu à Haofang Online avant d’être rachetée par Shanda Interactive Entertainment et à Tencent Games.

Cependant, l’une d’entre elles subit des accusations, fut réprimandée puis entra directement en conflit avec Shenzhou Aomei : Haofang. Avant d’en expliquer les raisons, établissons le contexte : les jeux de Blizzard et de Valve avaient une fonction qui permettait aux joueurs de s’affronter au sein d’un réseau local. Haofang (ainsi que QQ Battle Platform) l’ont piraté et ont créé un “réseau local virtuel” afin de faire croire à leurs utilisateurs qu’ils jouaient en réseau local et non en ligne, sur Internet. Cela eut pour conséquences, chez Shenzhou Aomei, de mener une poursuite judiciaire à l’encontre de Shanda pour avoir « créé » une alternative autorisant aux joueurs de jouer en ligne sans la permission de l’exploitant chinois, pour avoir autorisé les personnes ayant acheté des copies piratées de jouer avec celles qui avaient acheté un exemplaire officiel de la ou des licences concernées (principalement StarCraft, Warcraft III, Diablo et Counter-Strike) et pour avoir généré du profit grâce aux jeux de Blizzard. En d’autres termes, Haofang autorisait aux joueurs ayant des copies piratées de jouer en ligne.

Shenzhou Aomei, qui avait réclamé à Shanda, le 26 avril 2006, une compensation financière de 120 millions de yuans (qu’elle a ensuite réduit à 100 millions) et des excuses publiques pour avoir estimé être victime d’une infraction pour plusieurs jeux tels que Warcraft III (et son extension), StarCraft, Age of Empires et Diablo II (ainsi que son extension), perdit le procès en juin 2007. En effet, elle ne put prouver qu’elle était la représentante légale des jeux occidentaux concernés en Chine, car elle ne put produire les documents nécessaires servant de preuves et d’autorisation à la distribution de ces titres. Finalement, pour tenter de concurrencer Haofang, l’entreprise chinoise lança sa propre plateforme en ligne servant majoritairement à jouer à Warcraft, StarCraft, Counter-Strike, Diablo ou encore Sudden Attack : 24365. Pendant un temps, Shenzhou Aomei, qui avait perdu beaucoup de capital à cause des pertes d’argent issues de leurs tournois eSports et d’énormes coûts d’exploitation, misa sur le jeu de tir à la première personne Sudden Attack en augmentant rapidement le prix et l’obtention des armes que pouvaient posséder les joueurs. Mais cela était insuffisant, conduisant à la fermeture de leur plateforme.
Note : Afin d’apporter plus de détails, Shenzhou Aomei n’a généré que très peu, voire aucun profit de toutes leurs activités incluant les licences de Blizzard, leur présence dans l’eSport, leur service en ligne et Sudden Attack, donc lorsque le paiement des salaires est devenu une difficulté pour eux, l’entreprise s’est « effondrée » et 24365 ferma ses portes.

Notez qu’en mars 2008, en réponse au procès que leur avait mené Shenzhou Aomei et dont le distributeur asiatique ne put gagner, Shanda le poursuivit à son tour en justice pour avoir atteint à leur réputation et remporta son procès. De plus, la raison qui avait motivé l’opérateur de Warcraft III à entamer des poursuites juridiques contre la propriétaire d’Haofang en pensant gagner était qu’en 2002, Blizzard avait intenté et remporté un procès à l’encontre de bnetd (qui était un logiciel illégal permettant à ses utilisateurs de communiquer sur StarCraft et son extension Brood War sans passer par Battle.net).

Les exemplaires piratés

Le problème des jeux piratés reflète d’un manque de respect des droits de propriété intellectuelle. Le modèle de profit des premiers développeurs était basé sur la vente de leurs produits. Si l’espace de profit des ventes des licences est réduit par les copies piratées, les développeurs risquent de se retrouver dans une situation où ils ne pourront pas joindre les deux bouts.

Pour l’eSport en Chine, le piratage est une arme à double tranchant. Les disques compacts piratés ont rendu le sport électronique grand public disponible sur des milliers d’ordinateurs dans les salles informatiques et les cybercafés, permettant aux joueurs de jouer à des titres compétitifs populaires en eSport à faible coût. La gratuité a permis à cette industrie d’avoir un grand nombre d’utilisateurs et de rapidement devenir populaire.

La plus grande difficulté pour Aomei Soft dans la lutte contre le piratage est que certains jeux qu’elle distribue ne peuvent pas sortir en même temps dans l’Empire du Milieu et en Occident. Il était courant qu’en raison des approbations, les jeux représentés par Aomei sortent généralement plusieurs mois, voire un an après leur déploiement dans les pays occidentaux.

Pour les jeux piratés, Aomei avait adopté une stratégie qui consistait à diminuer le prix de vente des jeux sous licence, qui pouvaient autant attirer l’attention des joueurs que les titres piratés. Le marché chinois du jeu vidéo étant déjà vaste à cette époque, les développeurs et les opérateurs pouvaient gagner de grandes sommes d’argent en vendant les licences à un prix réduit.

Pour vous donner un exemple, après de nombreux efforts, le géant chinois avait finalement réussi à assurer la distribution mondiale simultanée de Warcraft III : The Frozen Throne. Avant le lancement, le PDG espérait réduire le prix de ce jeu en Chine d’environ 20% de son prix mondial. Bien entendu, Aomei ne pouvait pas décider unilatéralement du prix de vente, car une partie des recettes provenant de celle-ci en Chine devait être versée aux développeurs occidentaux. Cela n’a pas empêché l’entreprise chinoise de réduire le prix de l’extension de Warcraft III à 48 yuans, sachant que son coût initial était de 168 yuans.

J’ajoute aussi que lors de la sortie nationale de l’extension de la troisième itération de cette franchise et pour lutter contre le piratage, la société asiatique avait lancé durant l’été 2003 un événement promotionnel appelé « campagne de protection de la propriété intellectuelle de 100 jours » pendant lequel elle a commencé à vendre des disques compacts de Warcraft III (et de The Frozen Throne) et de StarCraft avec des réductions.

StarCraft : Le prix de l’édition collector comprise dans le Battle Chest avait été réduit à l’occasion de l’événement promotionnel

La même année (donc en 2003), le chiffre d’affaires annuel d’Aomei Soft avait dépassé les 50 millions de yuans. Par conséquent, la société occupait la moitié du marché des jeux pour PC en Chine. Avec ce monopole, la société asiatique commençait à vouloir imposer de nouvelles exigences auprès des revendeurs. Elle lui arrivait de regrouper en une offre groupée d’anciens jeux avec des titres populaires, alors que les revendeurs de jeux vidéo et la plupart des studios développant des titres se jouant en solitaire fonctionnaient selon un modèle de revente, c’est-à-dire que les revendeurs prenaient d’abord les livraisons et que les studios ne pouvaient récupérer l’argent qu’après la vente de leurs produits.

Concernant les plateformes autorisant les versions piratées de jeux, en août 2004, alors que ce sujet était au milieu de controverses, Aomei Soft fut interrogée à ce propos par un journaliste du magazine Play dans le cadre de leur numéro du mois de septembre. Cette dernière avait répondu qu’elle estimait que ces fameuses plateformes sont équivalentes à des “serveurs privés” dans le domaine de l’eSport. Elle précisait que celles-ci n’ont pas d’autorisation de studios étrangers et sont toutes illégales. Malgré leur existence objective et même leur influence significative, cela ne change rien à leur nature illégitime. Ces services de jeux sont pour Aomei essentiellement des “serveurs privés” de jeux en ligne. Cependant, la compréhension de ces serveurs dans le domaine de l’eSport était encore insuffisante. L’exploitant chinois déclarait que de nombreuses sociétés de jeux en ligne pouvaient s’unir et exercer une influence significative. De plus, il était certain que ces plateformes rencontreraient inévitablement des problèmes tôt ou tard.

Un cadre supérieur de l’opérateur chinois avait adopté une position plus stricte dans les colonnes du magazine et avait prévenu que presque tous les services nationaux permettant de jouer à des jeux vidéo opéraient illégalement ou en violation des réglementations, n’offrant aucune garantie aux joueurs tout en portant atteinte aux droits légitimes des développeurs et des exploitants. Ces plateformes avaient un énorme potentiel commercial, mais elles ne devaient pas être uniquement motivées par le profit. Elles devaient demander l’approbation officielle et les licences des studios, se conformer à la loi et respecter les droits de propriété intellectuelle. Si elles voulaient opérer, elles devaient obtenir l’approbation et les licences officielles, opérer de manière transparente et honnête. Dans le cas contraire, toujours selon ce cadre, ces services n’auraient en fin de compte aucun avenir ni aucune sécurité.

Raydjahs

Webmaster des Chroniques d'Azeroth depuis sa création en 2018, Raydjahs en est également le rédacteur en chef et publie de nombreux articles et guides régulièrement.

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