Folklore
Le folklore des Trolls
Comme chaque mois, il est temps de revenir sur les inspirations ayant conduit à la création de l’une des races jouables de World of Warcraft.
[NB: Ici, nous ne parlerons PAS de lore, mais de folklore, mythologie et autres petits morceaux de culture croustillants]
Dans le premier épisode, nous avions parlé des Orcs, et dans celui du mois de Mars des Worgens.
Il est donc maintenant temps de s’attaquer à une autre race emblématique de la Horde : les Trolls.
Que se cache-t-il donc derrière le fameux mojo des twolls ?
La réponse est bien loin d’être linéaire, puisque nous avons ici un véritable melting pot d’inspiration. Nous allons donc d’abord définir ce qu’est un troll, d’un point de vue mythologique, avant de se lancer sur ce qui définit un troll de WoW, ses influences plus culturelles outre-Atlantique.
Sommaire
Le Troll (Trǫll)
Aux origines, le troll est une créature de la mythologique nordique. Plutôt considérée comme une entité vivant dans des endroits relativement dangereux pour l’homme (que ce soit mers, montagnes et forêts).
Ainsi la tradition liée au troll pourrait être initialement apparentée à celle de génies élémentaires dont il ne faudrait jamais s’attirer le courroux, au risque de grand péril. À l’instar des Jötnar, géants de la même mythologie auxquels ils sont souvent comparés voire confondus, les trolls sont perçus comme des êtres hostiles aux hommes et aux dieux nordiques. Le problème est qu’il existe en fait très peu de sources écrites avant le IX-Xème siècle, date de l’arrivée du christianisme dans les régions du Nord de l’Europe. Aussi, il est fort possible que le caractère maléfique du troll ne soit que le résultat de la diabolisation d’une tradition polythéïste orale.
De plus, résultats de sources orales multiples et/ou de retranscription peu zélé, les textes ne sont pas claires et se contredisent souvent, à tel point qu’à partir du XIIème-XIIIème, on ne cherche même plus à faire la différence entre troll, géants, et tout le reste des créatures mythologiques.
La confusion avec d’autres créatures a probabalement contribué à la persistance de deux types de description dans les légendes scandinaves plus tardives par la suite.
Au Nord de la Scandinavie (et notamment en Norvège) le troll est décrit comme un être repoussant, solitaire, d’une taille gigantesque, d’un age avancé, lent mais extrêmement puissant (magie ou force), potentiellement anthropophage (à rapprocher de la figure de l’ogre).
Plus au Sud, on l’associe davantage à l’image d’un petit génie capable de se rendre invisible aux humains, mais doué dans les arts, vivant dans une communauté cachée au fond des bois (ici on se rapproche pêle-mêle du lutin, du gnome et/ou du nain… nous en reparlerons).
À noter qu’il est aussi fait mention de troll-femme, et même de demi-trolls, au gré des traditions.
En dépit de sa terrifiante et mauvaise réputation, le troll a résisté fièrement au ravage du temps (et même aux erreurs de traduction). À la fin du XIXème et début du XXème siècle, il suscite un important regain de popularité dans ses terres d’origines, notamment par le biais d’une série de contes de Noel “Bland Tomtar och Troll” (Parmi les gnomes et les trolls) illustrés par l’artiste suédois John Bauer.
De manière intéressante, le terme trǫll est très associé à la magie dans toutes les langues de Scandinavie et ce, jusqu’au fin fond de l’Islande. Le terme norrois (i-e : ancienne langue scandinave) trollskapr signifie en effet “sorcière”. Le verbe trylla se traduit par “enchanter” ou par “emplir de folie, de rage ou de furie”, un concept qui n’a rien de magique, me direz-vous, à moins, peut-être de le considérer comme une traduction maladroite de la transe chamanique.
Le mot se retrouve aussi dans les langues germaniques voisines, suggérant une exportation culturelle du concept de troll ou de légendes aujourd’hui disparues. Ainsi dans la langue allemande du Haut Moyen-Age trolle/trol désigne un monstre ou une sorcière, et le verbe trüllen “jouer des tours”.
Twolls des Caraïbes
Je vous vois hausser les sourcils. Nous avons parler vaguement de (bons ?) gros géants ou génies, et de magie scandinaves.
Rien qui ne puisse évoquer les trolls tels que nous les connaissons en jeu.
En effet, les développeurs et scénaristes de chez Blizzard ont ici donné aux trolls une origine pour le moins exotique et bien loin de leur “terre natale” : les Caraïbes.
L’idée initiale était probablement de former la Horde autour d’un trio haut en couleurs de minorités américaines.
Par contre, les trolls primordiaux (les gros costauds qui se disent des “vrais trolls”) sont certainement un clin d’oeil à leurs cousins des fictions nordiques.
En effet, leur accent ensoleillé est plus qu’évocateur : Pour nous autres francophones, les trolls semblent nous venir tout droit des Antilles, alors que les Anglais, ils donnent plutôt l’impression d’être Jamaïcains.
Dans les deux cas, il a donc été choisi de leur attribuer une langue dite créole, “fusion*” d’un dialecte et d’une langue importée par les Européens (anglais pour la Jamaïque, français pour les Antilles).
* en vrai, c’est un peu plus compliqué. A la base, c’est un pidgin, une langue de communication entre peuples d’origines différentes (un peu comme le “globish” ou “anglais d’aéroport”). Le pidgin a puisé dans la langue européenne “locale” ce dont il avait besoin pour devenir autonome et ainsi une langue à part entière.
Bref, nos twolls, ils sont à mi-chemin entre Rasta Rocket et la Compagnie Créole !
Méfiez-vous du vaudou !
Et à l’instar des langues la culture de ces régions est également un mélange coloré d’influences diverses. Il était donc assez tentant, même facile et paradoxalement cohérent d’aller piocher des morceaux ça-et-là pour donner à ces drôles de trolls des iles une certaine originalité. Ainsi leur accoutrement peut faire penser à des tribus africaines, leurs habitations des maisons sur pilotis typiquement insulaire, alors que leurs temples et ruines perdus dans des jungles luxuriantes évoquent facilement les civilisations précolombiennes.
Mais bien évidemment, il est difficile d’évoquer le melting pot culturel des trolls sans évoquer leur fameux vaudou !
Cet article est déjà relativement long. Donc pour de plus amples informations sur le sujet, je vous renvoie une fois de plus vers une vidéo très complète sur le sujet.
En bref, le vaudou (vodoo/ voodoo) existe bel et bien dans notre monde réel. Cette religion est née une fois encore d’un copieux mélange de cultes animistes (yorubas, fon et ewe) dans une région d’Afrique de l’Ouest correspondant à l’actuel Bénin.
Le vaudou est donc à la base une culture des esprits de la nature appelés les Lwas (ou Loas, si vous préférez).
Les lwas principaux (liste absolument pas exhaustive) sont : Erzulie, esprit de l’amour ; Gu, esprit de la guerre ; Damballa, l’esprit de la connaissance ; Hevioso, le lwa de la foudre (qui est d’ailleurs accompagné d’un…nain forgeron ?).
De façon intéressante, le vaudou, en tant que religion animiste, dispose d’un concept de “grand esprit” qui est à l’origine et au-dessus de tout :Mawu. Ce dernier n’a pas de forme physique. Il est, mais il ne communique pas avec les hommes, il a crée les lwas pour cette tache.
Le rite s’est exporté à travers le monde, et notamment dans le Nouveau Monde, au gré des “mouvements” de populations africaines. Il est donc tout naturel qu’il se retrouve dans les cultures créoles et cajun (les mêmes mais en Louisiane).
Le côté un peu “troll” du vaudou se retrouve dans la pratique d’utiliser les représentations religieuses chrétiennes (croix, icône de saints/saintes) pour le dissimuler et le pratiquer ainsi sans éveiller de soupçon.
En Haïti, le lwa des morts est le Baron Samedi, ou Baron Samdi (ou, oui, Bwonsamdi, si vous voulez). Ce lwa est probablement le plus connu de tout le folklore vaudou, compte tenu de son lien avec la mort, la magie noire et les malédictions. Pour information, le Baron Samedi est normalement marié à un autre puissant loa de la mort de ce folklore haïtien : Maman Brigitte.
Illustration très cool de Bwonsamdi avec les attributs du Baron Samdi
(le costume et le haut-de-forme)
En conclusion, vous l’aurez compris, le folklore des trolls de World of Warcraft est un mélange coloré d’influences diverses et particulièrement riches, et qui a de nombreuses possibilités d’évolution dans le futur.
Ce n’est donc pas étonnant que les trolls représente l’une des races les plus anciennes d’Azeroth, comme un memento que les histoires des peuples partent de racines ancestrales et ne cessent de s’enrichir et de se réécrire.